mercredi 5 janvier 2011

Hugo Chávez s'affranchit du parlement pour accélérer sa révolution

Hugo Chávez au palais de Miraflores. (Photo : Seb)

A la veille de l'entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale, les députés sortants ont mis les bouchées doubles et autorisé le président à légiférer par décret durant dix-huit mois.


Pour la troisième fois en onze ans, le parlement accorde le droit à Hugo Chávez de légiférer par décret. A chaque fois, les partis d'opposition et les médias ont dénoncé ces lois dites "habilitantes" comme la preuve de l'autoritarisme du gouvernement. Les décrets promulgués lors de la première habilitante avaient provoqué une réaction radicale de l'opposition et mené au coup d'Etat du 11 avril 2002. Cette fois-ci, la mesure intervient à la veille de l'entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale (ce mercredi 5 janvier), issue des élections du 26 septembre, dans laquelle l'opposition, réunie en Mesa de la Unidad Democrática (Table de l'unité démocratique), fait son retour (minoritaire) au parlement.

Officiellement, la loi habilitante accordée au président vénézuélien le 17 décembre vise à "faire face à l'urgence et à la crise" provoquées par les fortes pluies et inondations qui ont affecté le pays ces dernières semaines, provocant la mort de trente-huit personnes et en forçant 130 000 autres à abandonner leurs logements dans tout le pays. Le premier décret adopté il y a une semaine par Hugo Chávez est en effet la création d'un fond de 10 milliards de bolivars (2,3 milliards de dollars) pour la reconstruction de zones touchées.


Cependant, les pouvoirs attribués au président s'étendent à d'autres domaines tel que la sécurité et la défense, la fiscalité, l'aménagement du territoire, l'utilisation des terres rurales et urbaines, le logement, les infrastructures, transports, les services publics et les accords internationaux (entre autres).

L'écueil des deux tiers

Pour les opposants, cela ne fait aucun doute: "Chávez annule l'Assemblée et légiférera sans contrôle", comme le titrait récemment le journal d'opposition El Nacional. S'il n'est en aucun cas question de dissoudre le parlement (qui continuera à légiférer normalement), il est cependant clair que cette habilitante permettra à l'Exécutif de faire passer certaines lois cadres pour lesquelles il aurait normalement eu besoin du soutien de deux tiers des députés, majorité dont il ne disposera plus après le 5 janvier.


Yul Jabour, membre du bureau politique du Parti communiste du Venezuela (PCV) et député au parlement andin, confirme cette impression. "S'il s'agissait uniquement de résoudre le problème des inondations, la loi habilitante n'aurait pas été nécessaire. Elle est nécessaire pour créer des instruments (légaux, ndlr) qui permettent de faire avancer la participations des travailleurs, des paysans; d'attaquer les mafias de la construction qui se sont enrichies par la spéculation, etc. Le PCV soutient la loi habilitante car nous comprenons la situation politique actuelle et le besoin qu'ont les forces révolutionnaires d'avancer; sous réserve, bien entendu, de nous prononcer lors de chaque décret qui en découlera".

Marathon législatif

Par ailleurs, les députés de la majorité sortante, dominée amplement par le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), se sont livrés ces dernières semaines à une véritable course contre la montre (avec une série de sessions extraordinaires au parlement), afin de voter plusieurs lois et réformes qui ont déclenché les foudres de l'opposition et parfois même un certain scepticisme au sein du chavisme.


L'une d'entre elles est la réforme partielle de la loi sur les partis politiques, qui punit dorénavant les parlementaires qui décideraient de changer de camp durant la législature. Les "coupables" pourraient ainsi se voir destitués pour "fraude aux électeurs", définie comme "toute conduite réitérée qui s'éloigne des orientations et positions politiques présentées dans le programme électoral" de chaque groupe parlementaire. Yul Jabour explique que le PCV a refusé de soutenir le PSUV lors de l'approbation de cette réforme car il estime que "la discipline de parti est une question de conscience, ce n'est pas par des décisions bureaucratiques ou administratives qu'on peut garantir une position politique".

Universités anticapitalistes

Parmi les autres lois approuvées fin décembre figure notamment un paquet législatif concernant le pouvoir populaire, instance favorisant la participation des communautés dans la gestion publique. Plus polémique, une loi dite de "défense de la souveraineté politique" interdit le financement d'ONG ou de partis politiques par des organisations étrangères.

Mais c'est probablement la réforme de la législation sur les universités
(1) qui fera le plus de bruit dans les prochains jours, avec une mobilisation attendue à la rentrée du mouvement étudiant d'opposition. La nouvelle loi met sur pied d'égalité professeurs, étudiants et travailleurs, et déclare avoir pour but de "consolider le lien entre l'éducation émancipatrice et le travail créateur et libérateur, comme fondement des programmes de formation qui contribuent au dépassement du modèle capitaliste aliénant, de ses modes de direction autoritaire, des relations sociales d'exploitation, de la division sociale du travail et de la distribution inégale de la richesse". Inacceptable pour une élite académique, jusqu'à présent retranchée dans ses fiefs sous couvert d'autonomie universitaire.

Note:

(1) A l'heure de publier cet billet sur ce blog, le président Hugo Chávez annonçait son veto à la loi sur les universités et appelait à la création d'une commission nationale afin de la soumettre à une ample consultation populaire.



Article publié dans le quotidien suisse Le Courrier le 04 janvier 2011


Creative Commons License

Les visuels et textes publiés sur ce blog sont sous
licence creative commons

Si vous souhaitez utiliser l'un de ces éléments, merci de me contacter