mardi 26 mai 2009

Manif et classe moyenne

(Photo: Seb)

Mercredi dernier l'opposition a manifesté. Un peu contre tout, un peu en faveur de rien. Parce que "non c'est non" comme dit son slogan. Une manif d'étudiants à laquelle étaient présents de nombreux non étudiants, ainsi que les dirigeants politiques de l'opposition: le député de Podemos (Pour une Démocratie sociale) Ismael García, le maire de la grande Caracas Antonio Ledezma et Oscar Pérez, meneur du fameux "Commando national de la Résistance", une organisation aux idées d'extrême droite mais heureusement aux rangs peu fournis.

Le cortège est parti de l'Université centrale du Venezuela (UCV) et s'est rendu jusqu'au siège du ministère de l'Education supérieure, où une délégation composée de représentants des étudiants et des autorités universitaires (qui avaient elles aussi appelé à manifester) a été reçue par le Ministre. Ils y ont remis un document. Leur argument principal est que le gouvernement a réduit le budget des universités de 6%. En réalité, c'est tout le budget de l'Etat qui fut récemment réduit de 6% à cause de la crise économique mondiale et de la chute des prix du pétrole qu'elle a entraînée.

L'Exécutif demande aux universités de ne pas faire porter le poids de cette réduction aux étudiants ni aux ouvriers des établissements mais plutôt de couper dans les frais non indispensables et dans les dépenses luxueuses des hauts fonctionnaires (1). Mais au Venezuela les universités (tant privées que publiques) sont autonomes et décident donc elles-même comment elles vont appliquer cette réduction. L'occasion était trop belle, donc, pour ne pas tenter de remobiliser ce bon vieux mouvement étudiant aux mains blanches; même si la réputation de celui-ci a perdu de sa blancheur depuis que ses principaux leaders se sont ouvertement investis dans les partis politiques de l'opposition.

Rappelons également que, selon le journal Ultimas Noticias de ce dimanche, l'Assemblée nationale (Parlement) et plusieurs groupes universitaires "chavistes" ont exhorté l'inspection générale des Finances (Contraloría General de la República) à ouvrir une enquête sur la manière dont les universités publiques investissent leur budget. Ces dernières nient pour l'instant tout audit sur leurs finances internes (un comble pour des universités publiques, le tout sous le couvert de "l'autonomie") et, d'après le quotidien, "elles n'ont toujours pas expliqué, par exemple, pourquoi en 2008 elles n'ont pas utilisé 45% de leur budget, alors qu'aujourd'hui elles dénoncent la réduction de 6%".

Globovision

Par ailleurs, la guerre médiatique est de nouveau sur le tapis. Avec cette fois l'entreprise privée de communication Globovision au milieu du jeu de quilles. "Nous allons en finir avec ce fou armé d'un fusil (2) ou je ne m'appelle plus Hugo Chávez", a averti récemment le Président vénézuélien en visant le directeur de la chaîne, Alberto Federico Ravell. Relançant ainsi le débat sur les médias et, par la même occasion, toute la campagne pour la "liberté d'expression".

Une erreur politique de Chávez? Une attaque frontale à Globovision le serait probablement. Il est évident qu'une fermeture de la chaîne, même si elle est réclamée par certains militants du mouvement populaire, réveillerait les mobilisations et serait une occasion pour l'opposition de se refaire une santé. Nous aurons l'occasion de revenir sur le sujet dans les semaines qui viennent.

Bref, l'opposition a manifesté mercredi dernier: Lunettes de soleil, casquettes aux logos de Globovision ou RCTV, petit parasol pour les dames les plus chics. La classe moyenne était dans la rue, "moyennement riche, moyennement cultivée" comme disait le poète uruguayen Mario Benedetti, décédé la semaine dernière. En prenant quelques photos de la mobilisation, je n'ai pu m'empêcher de repenser à ce texte génial. En hommage a Benedetti, monument de la poésie latino-américaine; mais aussi comme "légende poétique" pour accompagner les clichés de la manifestation, je publie ci-dessous son "Poème à la classe moyenne", d'une brûlante actualité.


Mesdames... (Ph: Seb)


Mesdames aussi... en première ligne. (Ph: Seb)

Face aux mains blanches des étudiants,
la Police métropolitaine a laissé les armes au vestiaire. (Ph: Seb)



Poème à la classe moyenne

Classe moyenne
moyennement riche
moyennement cultivée
entre ce qu'elle croit être et ce qu'elle est
il existe une distance moyennement grande
Du milieu elle regarde à moitié mal
les noirs
les riches, les sages
les fous
les pauvres
Si elle écoute un Hitler
elle apprécie à moitié
si c'est un Che qui parle
à moitié aussi
Au milieu de rien
elle doute moyennement
comme tout l'attire (moyennement)
elle analyse à moitié
tous les faits
et (à moitié confuse) elle descend dans la rue avec des demi-casseroles
elle arrive alors à moyennement attirer l'attention
de ceux qui dirigent (à moitié dans l'ombre)
parfois, parfois seulement, elle se rend compte (à moitié tard)
qu'on l'a utilisée comme pion
dans un jeu d'échec qu'elle ne comprend pas
et qui ne la converti jamais en Reine
Ainsi, à moitié rageuse
elle se lamente (à moitié)
d'être le moyen grâce auquel les autres mangent
ces autres qu'elle n'arrive pas à comprendre
même pas à moitié.

Mario Benedetti (3)

Notes:

(1) Voir aussi sur ce blog "Le Venezuela trace la voie d'une réponse progressiste à la crise".
(2) "Ese loco con cañon...".
(3) La traduction est de la voix du sud.

mardi 12 mai 2009

Contre l'insécurité, du plomb et de la culture

"Contre le capitalisme et son industrie mercantiliste de la mort..." (Photo: Seb)

L'assemblée est réunie sur le petit terrain de football, juste au pied des tours du quartier du 23 de Enero, à Caracas. Des personnes venues d'autres quartiers et des sympathisants participent, mais peu descendent de chez eux pour discuter de la problématique qui rassemble les personnes présentes: "Pas un mort de plus au 23 de Enero".


La semaine dernière, trois personnes ont été assassinées en pleine rue, vers minuit. Parmi les victimes, un militant impliqué depuis de nombreuses années dans les luttes sociales. A l'époque, il avait même participé à la Révolution sandiniste au Nicaragua.


La manifestation et l'assemblée de ce samedi après-midi ont été convoquées par les collectifs de la zone, réputée pour ses luttes et son organisation sociales. A l'aide de hauts-parleurs, les intervenants invitent tour à tour les voisins à descendre de chez eux et à participer, sans avoir peur. L'idée est d'occuper les espaces afin de ne pas y laisser proliférer le trafic de drogue et la violence qu'il engendre.


Les discours tendent vers une récupération des espaces à travers la culture et l'organisation. D'autres sont plus radicaux: "Nous devons les combattre sur leur terrain. Et si c'est avec du plomb (des balles) ce sera avec du plomb, pas seulement avec la culture!", lance un intervenant. "La conformation des communes et des milices populaires, c'est le chemin de que nous devons prendre", rétorque un autre.


La scène se déroule sous l'oeil attentif d'un représentant du ministère de l'Intérieur et Justice. Accompagné par trois agents de la Police métropolitaine (PM), ils sont plus d'une fois pris à parti: "Je voudrais demander à nos 'amis' de la police ici présents: Quelle vente de drogue est clandestine dans le quartier? Aucune! Toutes les ventes de drogues sont publiques et notoires. Vous savez très bien où se trouvent les délinquants. Alors pourquoi est-ce si difficile d'y mettre un frein?".


Le fonctionnaire du ministère ne pourra qu'acquiescer: "Je dois reconnaître que vous n'avez pas tort". Parmi les mesures mises en place par l'Exécutif, figure le projet de Police communale qui devra travailler étroitement avec les communautés organisées. "Les hommes qui m'accompagnent sont là pour vous écouter et vous obéir. C'est vous qui devez contrôler la police et eux doivent être vos subordonnés".


Note :


Un long reportage sur le thème de l'insécurité au Venezuela sera publié prochainement dans le quotidien suisse Le Courrier. Des passages seront probablement publiés sur ce blog par la suite.


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